Les utopies ont dominé le XIXe siècle. Mais un XXe siècle rempli d’horreurs et d’hécatombes les ont anéanties. Faut-il les regretter, ou au contraire se réjouir de la disparition de rêves en partie responsables des plus monstrueuses idéologies ?
Dans une scène de discussion du roman de Dostoïevski Les Possédés un personnage vaguement anarchiste nommé Chigalov expose ce qu’il appelle son « plan de bonheur universel ». Celui-ci passe par le « partage de l’humanité en dix parties inégales, un dixième des hommes jouiraient d’une liberté absolue et exercerait sur les neuf autres dixièmes une autorité sans limite. Les autres devraient renoncer à toute individualité et devenir pour ainsi dire un troupeau… travailler. » Et devant l’étonnement de ses camarades, le nihiliste concède : « Je dois déclarer que mon système n’est pas encore tout à fait au point, que ma conclusion est en contradiction directe avec l’idée qui m’a servi de point de départ : partant de la liberté illimitée, j’aboutis au despotisme sans limite. »
Ces phrases semblent révélatrices du paradoxe que contient toute construction utopique et des problématiques soulevées par le sujet. Chaque fois que l’on a tenté d’imaginer une humanité heureuse, que l’on a souhaité libérer l’homme du joug des servitudes socio-politiques pour le rendre maître de lui-même dans un Eden reconquis, le nouveau modèle a fini par élever de nouvelles contraintes ou une organisation plus étouffante que celle que l’on prétendait remplacer. Reprécisons le paradoxe attaché à la réalité utopique : elle veut poser les fondements d’une société idéale et aboutit souvent à un monde d’oppression ou de terreur. Ce sera là le point de départ d’une réflexion sur cet immense sujet qui n’en finit pas d’être repensé et qui ne pourra pas être épuisé, l’utopie.
L’occasion sera bonne pour redessiner les contours de la notion – des penseurs grecs jusqu’aux auteurs de science-fiction – , pour mentionner les grandes œuvres qui l’illustrent, pour s’arrêter aux domaines qu’elle entend privilégier (la topographie, l’urbanisme, la famille et la sexualité, le travail, l’organisation politique), pour pointer ses dérives et les raisons qui permettaient à Cioran de la désigner comme « une féerie monstrueuse ».
Le bulletin officiel
Retrouvez dès maintenant le numéro 63 du bulletin officiel de l’association qui sera diffusé à l’occasion de cette séance :
Pour le télécharger au format PDF, rendez-vous en bas de cet article (dans la zone “document à télécharger”) ou dans la rubrique Bulletins officiels.
L’intervenant : Yves Stalloni
Yves Stalloni est agrégé de lettres modernes, docteur d’État ès lettres, professeur honoraire de Chaire supérieure.
Il a fait l’essentiel de sa carrière à Toulon, au Lycée Dumont d’Urville où il eut en charge les Classes préparatoires et notamment les prépas HEC et la classe de Première supérieure (Khâgne). Avec, occasionnellement, une fonction de chargé de cours à l’Université de Toulon et du Var.
Il est Membre titulaire de l’Académie du Var, responsable de la commission de littérature.
Yves Stalloni est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, de nombreuses éditions critiques et d’environ quatre à cinq cents articles parus dans des revues diverses, le tout dans le domaine de la critique littéraire, de la littérature générale, de la culture et de la méthodologie.
Il animera ce soir pour la cinquième fois une séance du Café Philo La Garde.